Design
hybride: l’espace démultiplié par l’image
et le temps
Electronic
Shadow, l’ombre électronique, a été
créé en 2000 par Naziha MESTAOUI, architecte belge
et Yacine AIT KACI, réalisateur français, tous deux
ayant des parcours complémentaires dans leurs pratiques
et leur approche des nouvelles technologies.
Electronic
Shadow propose un nouveau type d’espace qui intègre
dès sa conception l’intégration de son extension
numérique pour créer une entité qui n'oppose
pas le réel au virtuel mais qui les combine dans la création
d'une nouvelle perception de la réalité, une réalité
hybride. La virtualité, omniprésente, englobe tout
ce qui est possible, potentiel, tout ce qui est invisible.
Cette
nouvelle réalité hybride fait du potentiel invisible
une réalité visible, créant donc les conditions
de nouveaux types de perception. La réalité hybride
est consécutive à la co-existence de deux réalités
perceptibles, l'une physique et l'autre électronique, dans
des espaces communs.
La
conception de ces espaces hybrides ne répond plus seulement
à des contraintes physiques mais doit envisager son extension
électronique dans le nouvel espace-temps auquel elle appartient.
Une
double architecture, réelle et virtuelle, dans la création
d'espaces hybrides, permet d'envisager l'architecture non plus
seulement par rapport à un environnement physique, culturel
et social, en d'autres mots urbain, mais celui-ci peut intégrer
une toute autre urbanité, une nouvelle strate dans la ville
comme système de mémoire, une urbanité du
media.
Après
des recherche appliquées à la mobilité à
travers un projet de vêtement communicant, l’écharpe
communicante en 2001 en collaboration avec France Telecom, imaginé
comme une peau-interface qui étendrait les sens de la communication
Ces
concepts ont été mis en application en octobre 2001
à travers l’exposition d’une installation interactive,
V-Med 2.0, présentée conjointement à Palerme
et à Helsinki. La scénographie identique dans les
deux espaces proposait aux visiteurs de Palerme et ceux de Helsinki
d’interagir dans un espace partagé sur internet.
L’espace est hybride, à la fois à Palerme
et à Helsinki, à la fois réel et virtuel,
traversant les fuseaux horaires.
Le centre culturel français de Palerme dont nous avons
conçu et réalisé l’architecture et
le design global entre 2001 et 2002 a été dessiné
dans cette optique de dépassement des fuseaux horaires
pour proposer à ses visiteurs un espace partagé
avec d’autres lieux dans le monde par le biais de l’internet
et des nouvelles technologies.
Nous
avons encore poussé cette fusion en développant
en 2003 un système breveté et des applications qui
créent un nouveau média parfaitement cohérent
entre l’espace et l’image. En sortant cette dernière
de son cadre traditionnel, l’écran ou plus généralement
le rectangle, elle devient une peau d’information qui peut
s’appliquer, telle une texture, à n’importe
quelle surface ou n’importe quel volume. Cette démarche
consiste à ne plus faire de différence entre l’espace
et l’image et les concevoir comme un tout.
Notre
démarche en ce qui concerne la proposition de nouvelles
applications consiste à les mettre en œuvre dans des
contextes non commerciaux, notamment des expositions ouvertes
au grand public.
Nous avons appliqué cette méthode cette année
en multipliant, dans des contextes variés, les expositions
de dispositifs mélangeant l’espace et l’image
pour finalement, en quelques mois, les appliquer à de nouveaux
contextes de commande, notamment dans la muséographie et
la communication. Entre octobre 2003 et Septembre 2004, ce n’est
pas moins de sept dispositifs différents exposés
au public, dans des contextes d’expositions variés
et des domaines différents comme le design, l’art
contemporain, l’architecture, la mode, la science, etc.
En
octobre 2003, nous présentons dans le cadre de la nuit
blanche pour le musée d’Art moderne de la Ville de
Paris, section design, ce qui sera notre « manifeste »
de la réalité hybride, l’installation «
3minutes² ». Présenté derrière
une vitrine du boulevard de la Madeleine, c’est un espace
scénographie fermé de 5m de profondeur sur 4 de
large, qui prend vie au contact de l’image qui est projetée
dessus.
3
minutes² est un dispositif breveté qui met en scène
une unité d’habitation extrêmement réduite.
Cet espace a la particularité de s’étendre
bien au-delà de ses limites physiques par le biais de l’image
dont il est la surface de projection. Ainsi ce volume se démultiplie
en autant de fonctions qui sont décrites dans le scénario
d’utilisation de cet espace de vie.
En effet, l’espace se reconfigure en permanence en fonction
des activités de son habitant et se définit également
dans la temporalité. Le scénario présente
la compression en quelques minutes des principales activités
et fonctions contenues dans l’habitat et qui correspondent
au quotidien de son habitant, manger, dormir, travailler, etc.
Cet espace est une coquille vide qui prend vie au contact de l’image.
L’image n’est pas ici un support de représentation
mais la condition essentielle de l’espace dont il dessine
tout autant les contours que le contenu. Les objets sont dématérialisés
rendus à l’état de pixels, les interfaces
virtuelles coexistent avec la représentation des objets
et des fonctions « réelles » qu’elles
proposent. Le projet a reçu cette année un Prix
Ars Electronica Honorary Mention et a été réexposé
à Laval dans le cadre des rencontres internationales de
la réalité virtuelle en partenariat avec Barco,
à Linz et à la Villette..
Cette approche du rapport entre l’espace et l’image
propose au public de nouvelles façons de s’immerger
dans un contenu, dans un environnement où la technologie
est devenue totalement transparente et où la seule interface
est le rapport entre le corps et l’espace. L’écran
disparaît et la perception se fait plus complète.
Le sentiment le plus souvent évoqué par le public
est celui de magie, on participe d’un environnement qui
fonctionne sans qu’on sache exactement comment, la vision
ne se plaque pas sur une surface unique, comme dans le cas d’un
écran où d’une projection, mais s’apparente
à la perception d’un espace ou d’un objet,
démultiplié par l’image, le temps, et l’interactivité.
Les
perspectives d’une telle démarche sont multiples.
Cette approche tout en reposant sur l’espace et la perception
physique dématérialise d’autant une partie
de l’espace, devenu image et permet à l’information
et/ou l’émotion de démultiplier une structure
de base. Cette démultiplication remplace la traditionnelle
démarche d’accumulation. L’espace n’est
construit qu’une seule fois mais se transforme au gré
du temps, il devient aussi flexible que l’image et bénéficie
de toutes les avancées dans le domaine des communications.
De fait il devient un véritable média à part
entière. La valeur est partagée entre la matière
et l’immatériel, offrant des perspectives d’optimisation
absolue tant au niveau de l’espace que de l’image.
De plus, les technologies étant totalement cachées,
la perception du public s’apparente plus à de la
magie, une vision « surnaturelle » de la réalité.
L’interface s’affranchit également des métaphores
numériques pour redevenir naturelle, utiliser les sens
d’un public qui n’a pas à apprendre avant d’utiliser.
Le corps en mouvement devient l’interface et l’élément
central de son environnement, comme c’est le cas à
l’état naturel.
Encore
une fois, le réel et le virtuel ne s’opposent pas
et cette opposition va finalement être vite dépassée.
Les deux sont de plus en plus intimement liés et leur hybridation
pose de nouvelles questions sur les notions de géographie,
de géopolitique, d’économie de l’accumulation
et des réponses devront être trouvées tant
au niveau de la société civile et des créateurs
qu’au niveau politique où des choix importants vont
devoir être faits pour ancrer le nouveau siècle dans
sa propre réalité.